Dans notre parcours pour devenir saint, le chemin est parfois semé d'embuches... Aujourd'hui je vous propose de débusquer le pélagianisme ! (pour voir le début de l'histoire cliquez-ici).
Nier la nécessité de la grâce : une hérésie
Nous poursuivons donc notre lecture de l'encyclique Gaudate et Exultate. Lors du dernier épisode nous avions vu que Dieu nous désire tous saints et qu’il y a en nous comme un élan, une « loi naturelle » qui nous pousse souvent à faire le bien. Il existe beaucoup de personnes admirables, de toutes religions et cultures.
Mais le saint n’est pas celui qui fait le bien, c’est celui qui laisse Dieu aimer à travers lui. Le risque serait de croire qu’il suffit de « faire » le bien pour être saint. Que finalement ce ne serait qu’une histoire de volonté ou même de prédisposition à « être serviable ».
Dans le christianisme, on appelle « grâce », l’action gratuite de Dieu dans nos vies. C’est quelque chose qui ne se mérite pas, qui ne s’achète pas, ne se négocie pas. Dieu aime, et rien de ce que l’on pourra faire ou ne pas faire y changera quoique ce soit.
C’est parfois tellement difficile à admettre, si loin de notre mentalité humaine comptable, que certains en viennent à nier l’existence ou la nécessité de cette grâce. Ils considèrent que l’être humain n’en a pas besoin. Ces courants de pensées sont considérés comme hérétiques par l’Église.
"C’est seulement à partir du don de Dieu, librement accueilli et humblement reçu que nous pouvons coopérer par nos efforts à nous laisser transformer de plus en plus. Il nous faut d’abord appartenir à Dieu." (gaudate et exultate §56)
"Et si c’est par grâce ce n’est pas par les œuvres ; autrement la grâce ne serait plus la grâce." (lettre aux romains)
Une hérésie, contrairement à ce que l’on voit dans l’imagerie populaire moderne, ce n’est pas une croyance conduisant au bûcher ! C’est tout simplement une doctrine qui se prétend chrétienne mais qui n’en est pas. Pourquoi ? Par exemple parce qu’elle contredit la bible, ou bien est incohérente avec les révélations progressives de Dieu à travers les prophètes.
Si par exemple vous croyez à la réincarnation, c’est pour l’Église une hérésie. Vous ne serez ni brûlé, ni même poursuivi, mais l’Église vous demandera de ne pas l’enseigner comme étant un élément de la foi chrétienne.
Le pélagianisme : seul l’effort compte
Bref, il existe différents écueils qui consistent à nier la nécessite d’une grâce divine. Dans son encyclique, le pape François cite deux courants de pensées principaux. Ils ont en commun la non-reconnaissance des limites humaines. Il n’y a plus de place pour Dieu qui devient un simple juge distribuant des bons et mauvais points. Voire même un simple spectateur un peu indifférent.
Le premier courant s’appelle le Pélagianisme. Ce nom vient d’un moine breton du IV-Vème siècle qui propagea l’idée que seul compte l’effort personnel. En gros, chacun est sensé avoir en lui-même les ressources nécessaires à toujours choisir et réaliser le bien. Il n’y aurait donc pas de péché originel, cette blessure dans l’amour faite entre Dieu et l’Homme. Cette idée est séduisante car chacun pourrait y arriver. Ceux qui n’y parviendraient pas manqueraient tout simplement de volonté et ne feraient pas assez d’effort.
Le problème c’est que nous sommes loin d'être parfaits et/ou capables de le devenir. Il y a des personnes plus ou moins fragiles, certains naissent riches ou pauvres, dans des milieux plus ou moins favorisés intellectuellement, psychologiquement… Cette manière de voir les choses est extrêmement culpabilisante, car chacun est entièrement responsable de ses erreurs et de ses péchés.
"On cherche à ignorer que tous ne peuvent pas tout et qu’en cette vie les fragilités humaines ne sont pas complètement et définitivement guéries par la grâce." (gaudate et exultate §49)
Se faire Dieu : une tentation courante
Concrètement on peut voir plusieurs déclinaisons du pélagianisme à travers les époques et les sociétés.
Dans l’Église (et même ailleurs), on voit parfois des communautés se refermer sur elles-mêmes, obsédées par l’observance de lois. Ses adeptes sont à la recherche d’une certaine pureté et donc d’un détachement du monde qui leur paraît si souillé. Les scrupules entravent la liberté de penser et de créer, de s’adapter et d’innover en fonction des besoins de chacun et du monde. Petit à petit la foi se sclérose, s’atrophie et la vie de prière se résume à l’accomplissement de certains rites figés et ostentatoires.
Ces groupes méprisent tout ce qui leur paraît trop moderne (musique, célébration...), se rattachant à un passé imaginaire et glorieux. Le service des pauvres, s’il existe, n’est effectué qu’en terme comptable, afin de gagner son paradis par exemple.
"[Ils] font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un certain style catholique." (gaudate et exultate §49)
Dans la société laïque on observera plutôt des variantes du mythe du « self-made-man ». La glorification de l’autonomie entraînera des comportements écrasant les autres et niant la valeur des plus faibles que soi. Certains individus vont parader avec leurs conquêtes professionnelles, sociales ou matérielles. Ils recherchent le pouvoir, à la fois sur les autres, mais aussi sur la vie elle-même, allant jusqu’à vouloir effacer la mort en devenant immortels par la technologie. Cela revient à vouloir devenir son propre dieu, soit le même pêché que celui décrit dans la genèse avec l’histoire d’Adam et Eve.
Cette pensée imprègne toute la société, chacun décide par lui-même de ce qui est bien et de ce qui est mal. Prétendre à l’universalité de certaines lois morales est considéré comme aliénant ou discriminatoire.
Finalement, que l’on cherche à « télécharger son esprit » dans un ordinateur ou que l’on méprise toute personne jouant du rock pour Dieu, le fond est le même. Ce qui est d’ailleurs assez amusant car ces deux groupes se méprisent souvent fortement.
Pour aller plus loin
Je vous invite à lire au chapitre II, les paragraphes 47 à 59 de l'encyclique. Le pape François y explique bien la nécessité de repérer et de dénoncer cette hérésie. Non pas pour condamner, mais pour ne pas se faire prendre soi-même au piège, en tant qu'individu et en tant que communauté.
La première partie de ce chapitre (§35 à 48) consacré au gnostiscicme, sera vue au prochain épisode.
"Au fond, l’absence de la reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites est ce qui empêche la grâce de mieux agir en nous, puisqu’on ne lui laisse pas de place […]. " (gaudate et exultate §50)
Il me semble important de savoir se poser de temps en temps pour s’interroger sur ses motivations et ses actes. Voici quelques pistes qui peuvent nous aider:
- Suis-je prêt à accepter d’être aimé gratuitement ? N’ai-je pas le sentiment de devoir mériter son amour ? Est-ce que ‘je donne’ ou bien ‘je me donne’ ?
- Quelle motivation me pousse à aider mon prochain ? Est-ce que je vois Dieu comme un comptable ou comme un père aimant ?
- Pour quelle raison y suis-je attaché à cette manière de faire ? Est-ce par habitude, par souci de faire bien, parce que cela parle à ma sensibilité ?