Comme nous l'avons vu précédemment les saints ne sont pas des gens parfaits. Ils ne se promènent pas non plus avec une auréole autour de la tête... Mais du coup, comment faire pour en repérer un autour de vous ?
Voici donc, dans ce 6ème épisode des quotisaints, une méthode de détection proposée par Jésus lui-même !
(Pour voir l'histoire depuis le début cliquez-ici).
Dans un discours resté célèbre, Jésus nous propose plusieurs attitudes qui mènent au bonheur: les béatitudes.
Mais attention, ces béatitudes ne sont pas de simples techniques d'une énième méthode de développement personnel! Le bonheur que propose Dieu n'est pas centré sur nous-même, mais tourné vers Lui et vers les autres.
Être heureux ce n'est pas simplement rire tout le temps, n'avoir aucun souci ou même se rendre indifférent au malheur qui nous tombe dessus. Il s'agit de quelque chose de bien plus profond, pouvant justement aider à traverser les épreuves de la vie.
Les saints de toutes les époques ont décliné ces clefs du bonheur à leur manière. Ils ne se sont pas contentés d'attendre et d'espérer être heureux un jour. Ils se sont démenés, non pas uniquement pour eux-mêmes, mais aussi pour tous leurs contemporains, particulièrement les plus fragiles et les plus pauvres.
Le bonheur ne se reçoit pas mollement. Il implique ma participation active et mon engagement. Le saint est celui qui se laisse aimer par Dieu et qui redonne généreusement autour de lui cet amour qui le rend heureux.
Chacune de ces béatitudes se présente sous la forme: "Heureux ceux qui...". Certaines traductions proposent aussi "En avant ceux qui...".
Heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des cieux est à eux.
On peut être encombré matériellement par de l'argent, des biens immobiliers ou commerciaux, mais aussi par des connaissances intellectuelles sclérosantes, des relations amicales ou professionnelles empoisonnées, etc.
La richesse et surtout les préoccupations pour la préserver, l'accroître... alourdissent le cœur, qui n'a plus la place d'accueillir Dieu. Le pauvre, c'est celui qui ne place pas sa sécurité et le sens de sa vie dans ce qu'il possède. Il n'est pas entravé par son désir de "bien faire" ou sa crainte de "mal faire".
Sa liberté intérieure lui permet de refuser de posséder (biens ou personnes) pour se laisser posséder par Dieu. Le pauvre est libre d'aimer et de servir.
"Cette pauvreté d’esprit est étroitement liée à la “sainte indifférence” que saint Ignace de Loyola proposait, et par laquelle nous atteignons une merveilleuse liberté intérieure : « Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre et qui ne lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste.»" (gaudate et exultate §69)
Dans la bible, l'opposition ne se fait pas entre les mots pauvres/riches, mais pauvres/orgueilleux.
Retour ↑Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Une souffrance niée fait toujours beaucoup de dégâts. Comme une plaie non désinfectée que l'on camoufle sous un pansement. Accepter de pleurer, c'est accueillir sa souffrance, accepter d'avoir été blessé et donc pouvoir être soigné. Les pleurs lavent le cœur et effacent les illusions.
Savoir pleurer c'est accepter les choses telles qu'elles sont, avec leurs joies et leurs difficultés. C'est être authentique avec soi-même et avec les autres, et donc pouvoir être aussi authentiquement heureux !
"Cette personne est consolée, mais par le réconfort de Jésus et non par celui du monde. Elle peut ainsi avoir le courage de partager la souffrance des autres et elle cesse de fuir les situations douloureuses. De cette manière, elle trouve que la vie a un sens, en aidant l’autre dans sa souffrance, en comprenant les angoisses des autres, en soulageant les autres. »" (gaudate et exultate §76)
Si je laisse Jésus me consoler, il ne va pas forcément supprimer mon malheur, mais il va le porter avec moi.
Et la souffrance traversée ouvre alors à la compassion. Celui qui a vécu un deuil sait ce dont son ami tourmenté à besoin et peut lui apporter un vrai réconfort. Lorsque notre cœur ne crie plus "Pourquoi moi ?!", il se demande alors "Pour en faire quoi ?!" et nous met en marche vers notre prochain.
En me laissant consoler, je fais aussi aux autres le cadeau de leur permettre de m'aider.
Heureux les doux, car ils posséderont la terre.
La douceur ce n'est pas l'indolence ou la passivité. Au contraire, il faut parfois beaucoup de maitrise de soi pour ne pas céder à la violence face à la méchanceté. Parfois cela nous fait passer pour un imbécile, mais Jésus lui-même nous en montre un exemple remarquable dans l'Évangile lorsqu'il est condamné, torturé puis exécuté.
Dans la bible, la terre est l'image du Royaume des cieux, de la communion avec Dieu.
Ceux qui possèdent la terre, qui en héritent, sont ceux qui prennent le temps de l'habiter, de la travailler et faire fructifier. Par opposition à ceux qui campent dessus temporairement sans vraiment la connaître. En langage contemporain on dirait que le paysan n'est pas un producteur industriel agricole.
Dieu nous invite aussi à prendre le temps de la douceur dans nos relations. Celui que je rencontre n'est pas limité à ce que je connais de lui. Il est toujours appelé à plus grand, plus beau, et je ne dois pas l'enfermer dans mes préjugés ou mes souvenirs. Il est parfois difficile d'aborder certaines personnes avec un a-priori positif, cela demande un effort quotidien.
"Si nous vivons tendus, prétentieux face aux autres, nous finissons par être fatigués et épuisés. Mais si nous regardons leurs limites et leurs défauts avec tendresse et douceur, sans nous sentir meilleurs qu’eux, nous pouvons les aider et nous évitons d’user nos énergies en lamentations inutiles." (gaudate et exultate §72)
Heureux les affamés et les assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés.
Être assoiffé de justice, ce n'est pas juste s'y intéresser mollement ou uniquement lorsque cela nous arrange personnellement. C'est d'abord veiller à être soi-même juste, dans ses relations et ses décisions.
"Et que de personnes souffrent d’injustices, combien sont contraintes à observer, impuissantes, comment les autres se relaient pour se partager le gâteau de la vie. Certains renoncent à lutter pour la vraie justice et choisissent de monter dans le train du vainqueur. Cela n’a rien à voir avec la faim et la soif de justice dont Jésus fait l’éloge." (gaudate et exultate §78)
Beaucoup de saints se sont battus pour les droits et la dignité des plus pauvres, des plus faibles. Pas avec des grands discours et de belles paroles, mais en agissant concrètement, en donnant leur temps, leur argent, leur santé, et parfois même leur vie.
Parfois les résultats ne sont pas visibles. La foi du saint lui donne alors la force de continuer, en faisant confiance à Dieu qui fait germer les graines semées péniblement.
De plus, lorsque l'évangéliste Matthieu utilise le mot justice, il ne s'agit pas uniquement de la juridiction réglant les rapports humains ou de la justice sociale. Dans l'ancien testament, les psaumes notamment, être assoiffé de justice, c'est chercher ardemment le Seigneur. Cette béatitude désigne donc ceux qui veulent faire la volonté de Dieu, qui désirent la sainteté (ce qui tombe bien pour notre sujet !).
Comme un cerf altéré cherche l'eau vive, ainsi mon âme te cherche toi, mon Dieu. Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant ; quand pourrai-je m'avancer, paraître face à Dieu ? Psaume 41, v2-3
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Le mot miséricorde a tendance à renvoyer une image un peu vieillotte aujourd'hui. Et pourtant... le monde en a tant besoin !
" La miséricorde a deux aspects : elle consiste à donner, à aider, à servir les autres, et aussi à pardonner, à comprendre." (gaudate et exultate §80)
Notre société a tendance à se laisser diriger par sa sensibilité, à grand coup de communication médiatique faisant pleurer les braves gens. Mais elle refuse d'aller au fond des choses, de comprendre et de pardonner. Et pire encore, elle préfère bricoler des semblants de solution pour atténuer une injustice, plutôt que de résoudre le problème à sa racine et empêcher le mal d'arriver de nouveau.
La miséricorde, c'est la compassion et le pardon qui poussent à agir pour se mettre au service des autres, spécialement des plus vulnérables. Non pas regarder de loin un drame à la télé, s'émouvoir et envoyer un tweet sur le sujet puis l'oublier. Mais c'est être sensible à la misère des autres, et y remédier activement.
Dans la bible, le même mot hébreu Racham est utilisé pour miséricorde et entrailles maternelles. Dieu est profondément bouleversé par notre misère et il vient vers nous, pardonnant et guérissant les cœurs.
Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés ; remettez, et il vous sera remis. Donnez et l’on vous donnera. Luc 6, 36-37
Heureux les cœurs purs car ils verront Dieu.
"Dans la Bible, le cœur, ce sont nos intentions véritables, ce que nous cherchons vraiment et que nous désirons, au-delà de ce qui nous laissons transparaître." (gaudate et exultate §83)
Avoir le cœur pur, c'est accorder ce que l'on pense, ce que l'on dit et ce que l'on fait. C'est oser être authentique et cohérent dans les différents aspects de sa vie.
Il ne s'agit pas seulement de faire bonne figure devant les autres, mais aussi de ne pas se mentir à soi-même et de savoir reconnaître ses faiblesses et ses erreurs. Il faut ainsi un courage immense à quelqu'un addict à la pornographie pour refuser de s'exposer à ce qui pourrait abîmer son regard. Ou a un commerçant pour résister à la corruption qui lui permettrait de payer ses charges. Ou encore à un enfant pour refuser s'abstenir de se moquer d'un camarade comme toute sa classe.
Celui qui a le cœur pur n'est pas un naïf innocent, mais un chevalier loyal qui protège activement ce qui a besoin de l'être. Il prend le risque de la vérité, quitte à s'exposer aux jugements et aux moqueries du monde. Il veille sur lui-même et sur ceux dont il a la charge.
Dieu voit au plus profond de chacun et rien ne lui est caché de notre être. Il est seul en mesure de nous juger pleinement.
Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais ! Tu sais quand je m'assois, quand je me lève ; de très loin, tu pénètres mes pensées. Que je marche ou me repose, tu le vois, tous mes chemins te sont familiers. Avant qu'un mot ne parvienne à mes lèvres, déjà, Seigneur, tu le sais. Ps 138, 1-3
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Construire la paix est un travail de longue haleine qui commence par faire la paix avec soi-même. Je ne peux prétendre résoudre les conflits armés dans le monde si je suis en conflit avec mon histoire personnelle, avec ma famille ou mes voisins !
"En ce qui nous concerne, il est fréquent que nous soyons des instigateurs de conflits ou au moins des causes de malentendus. [...] Le monde des ragots, fait de gens qui s’emploient à critiquer et à détruire, ne construit pas la paix. Ces gens sont au contraire des ennemis de la paix et aucunement bienheureux." (gaudate et exultate §87)
Avoir la paix ou faire la paix ? La paix ce n'est pas juste vivre les uns à côté des autres, en évitant les conflits ou en évitant ceux qui nous dérangent. Elle requiert avec exigence de la patience, de la créativité, de l'inventivité, etc.
Bien souvent les bonnes volontés ne suffisent pas. Cela me rappelle que la paix est aussi un "fruit de l'Esprit Saint", un cadeau de Dieu que je peux lui demander. Son œuvre dans les cœurs peut résoudre des situations familiales, politiques... qui semblent insolubles à vue humaine.
Il y avait probablement des jours compliqués entre les apôtres, avec leurs caractères différents et leurs origines sociales si diverses. Pourtant, avec l'aide de Jésus, ils ont su apprendre à se faire confiance et à construire ensemble.
Imitons le fils de Dieu, le créateur de la paix. Nous aurons alors l'honneur de pouvoir être appelé, nous aussi, par ce titre.
Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux est à eux.
Celui qui suit Dieu, qui décide de vivre chaque jour l'Évangile en recherchant la justice est un géneur. Il remet en question les habitudes de paresse et d'indifférence à la souffrance, il dérange les consciences compromises, il embarrasse les manipulateurs et les profiteurs...
C'est pour cela qu'un certain nombre de saints sont malmenés, qu'on tente de les faire taire et même de les éliminer.
Les persécutions sont malheureusement inévitables. Mais Jésus nous encourage à continuer malgré tout, à ne pas nous laisser arrêter, même si c'est au péril de notre réputation, de notre liberté et même de notre vie.
"Mais nous parlons des persécutions inévitables, non pas de celles que nous pouvons causer nous-mêmes par une mauvaise façon de traiter les autres. Un saint n’est pas quelqu’un de bizarre, de distant, qui se rend insupportable par sa vanité, sa négativité et ses rancœurs." (gaudate et exultate §93)
Dieu ne nous interdit pas de nous plaindre lorsque nous subissons des injustices. Dans la bible il existe un personnage connu pour ses complaintes: Jérémie, qui a même donné son nom aux Jérémiades. Ce prophète n'est pas un râleur mal dans sa peau, il a d'authentiques raisons de se plaindre. Dieu tend l'oreille à ses plaintes et lui donne la force de remplir sa mission.
Les persécutions ne sont pas seulement une affaire historique. Elles sont une réalité concrète et quotidienne pour une majorité de chrétiens aujourd'hui dans le monde. Par le martyr sanglant, dans beaucoup de pays. Par des diffamations et censures dans d'autres. Aujourd’hui dans le monde, on estime que 75 % des victimes de la persécution pour motifs religieux sont des chrétiens.
Conclusion
Nous avons parcouru les 8 béatitudes de l'Évangile de Matthieu. Chacune d'entre elles éclaire un aspect de la sainteté. Mais toutes ne sont que les déclinaisons d'un seul grand critère: la miséricorde et l'amour du prochain.
Dieu ne nous demande pas de beaux discours: il nous encourage à aimer nos ennemis, à secourir les blessés de la vie, à défendre les plus faibles... Tout cela peux nous sembler insurmontable avec nos propres forces. Mais le saint est justement celui qui laisse Dieu agir à travers lui. Le saint s'appui sur l'amour dont Dieu le comble pour avancer chaque jour.
Malgré la longueur -largement supérieure aux recommandations sur internet- de cet article, nous n'avons fait qu'effleurer la profondeur de cet enseignement de Jésus sur les béatitudes.
Je ne peux que vous encourager à creuser un peu plus. Tout d'abord en allant lire le chapitre concerné dans l'Évangile.
Il existe quantité d'articles et de livres sur le sujet. Voici deux liens qui me semblent intéressants: un enseignement de soeur Lise Marsan et un podcast du cardinal Barbarin.
PS: Pour ceux qui m'ont lu jusqu'ici, bravo ! Pour vous récompenser de vos efforts, je vous donne les noms des saints que j'ai disséminé dans la BD: Joseph de Cupertino, Josephine Bakhita, Rita de Cascia, Yves de Tréguier, mère Théresa, Carlo Acutis, Marie mère de Jésus, Thomas More, Germaine de Pibrac.
J'ai également glissé quelques personnages historiques et contemporains comme Robert Schuman et Marguerite Banranktise.